Annotations à la Commission Spéciale sur le passé colonial
Photo: Antonio Ponte (CC BY-NC-SA 2.0)
Suite à la protestation mondiale contre la mort de G.Floyd et la discrimination permanente des Afro-américains aux Etats-Unis, l’indignation sur le rôle de la Belgique dans l’histoire de ses anciennes colonies, a également refait surface. Il serait en effet bon que la Belgique se remette de son passé colonial et fasse face à ses propres points faibles en matière de discrimination. D’où le point d’interrogation dans la référence à notre hymne national dans le titre…
Dans le prolongement de l’indignation mondiale, la diaspora africaine dénonce également la discrimination qui existe dans notre société aujourd’hui. Afin de combler le fossé entre les paroles et les actes, suite aux regrets exprimés par le Roi Philippe, le Parlement belge a également pris l’initiative de créer une commission sur le Congo afin d’étudier la manière dont cela peut être fait (pdf). Les regrets du gouvernement belge ou du roi quant au rôle de son ancêtre sont-ils suffisants ? À qui s’adresser ? Aux autorités du Congo actuel qui ne travaillent pas de manière convaincante sur le présent ? Pour la population ? Mais là encore, c’est si vague et si peu engageant ? Comment cela peut-il être fait, comment réparer l’injustice ? Des réparations sont-elles nécessaires ? N’y a-t-il que des dommages causés et comment traduire les effets de violence en dédommagements ? Si oui, comment et qui devrait être indemnisé?
Avec beaucoup d’opposition et de discussions sur qui est maintenant autorisé à parler de ces questions et à agir en tant qu’expert, la commission a commencé, mais que cela se passe au parlement belge est le lieu où la discussion devait se tenir[i].
Dans le feu de l’indignation retrouvée, certaines nuances et certains contextes sont perdus. Une deuxième raison de ce texte est que la commission, si elle veut être plus qu’une discussion symbolique, devra aussi se pencher sur la manière de nos comportements envers les Afro-descendants dans notre société et surtout sur la manière dont nous pouvons répondre aux besoins du Congo aujourd’hui. Après tout, le pays souffre d’un nouveau cycle de surexploitation des ressources naturelles. L’élite politique en profite, la population est laissée pour compte. J’aimerais qu’il y ait autant d’indignation à ce sujet.
Un départ sanglant
Un pays qui passe d’une économie agraire circulaire à une économie capitaliste passe toujours par un douloureux processus de destruction et de création. Les pays occidentaux ont été capables d’étaler ce processus de rupture sociale sur plus de trois siècles, mais la plupart des pays en développement n’ont eu que quelques décennies pour digérer ce processus disruptif. En effet cette transformation a pris la forme d’un colonialisme qui, dans de nombreux cas, a entraîné la destruction des cultures locales et la décimation des populations en Amérique latine et du Nord, en Asie, en Australie et en Afrique.
Au Congo aussi, cette annexion au nouveau système mondial a été violente, surtout dans la première partie de l’ère coloniale, celle de Léopold II (1885-1908) et son ‘Etat Indépendant du Congo’ (E.I.C.) . Le Premier ministre August Beernaert a bien résumé cette période en 1908, lorsqu’il s’est demandé ce qui avait été réalisé : “En Afrique, rien. En Belgique, des travaux exclusivement somptuaires”. L’historien Guy Vanthemsche a fait remarquer à juste titre que dans le sillage de l’indignation et dans l’effervescence de la compétition impérialiste dans le temps de Léopold II les chiffres de la comptabilité macabre des victimes du régime ont été gonflés. (DS 23 février). Il a déclaré qu’au cours de cette période, des centaines de milliers de personnes seraient mortes des suites de la guerre, du travail forcé et de maladies importées, et non pas 10 ou 13 millions. Mais qu’il s’agisse d’un demi-million ou de 10 millions de morts, la brutalité, les souffrances et les humiliations indicibles restent tout aussi grandes.
Apartheid
Les mêmes exagérations circulent à propos de l’enrichissement de la Belgique, qui aurait été construit sur l’exploitation du Congo. L’estimation du flux net de ressources financières pendant la période de l’État libre du Congo était d’environ 32 millions de francs d’or, soit environ 192 millions d’euros aujourd’hui[i]. Cela ne représente pas 0,1 % du revenu national en 1908. À titre de comparaison, les pertes des actionnaires belges dans les investissements russes en 1919 s’élevaient à 3,5 milliards de francs or, soit cent fois plus. Bien que le revenu par habitant en Belgique ait doublé pendant les 75 années de colonisation, il a triplé dans les 40 années qui ont suivi l’indépendance du Congo (1960-2000). Il est donc nécessaire de nuancer la richesse de la Belgique . Notre économie ne repose pas uniquement sur le Congo.
Certes il est vrai que les entreprises belgo-congolaises ont bien profité de leur position monopolistique. Pendant la quasi-totalité de la colonisation officielle (1908-1960), le rendement annuel des entreprises belges au Congo était systématiquement plus élevé (7,18 %) que celui de toutes les autres valeurs boursières belges (2,87 %)[ii]. Toutefois, cela ne reflète pas entièrement les coûts et les avantages de la colonisation. Le développement de l’industrie, le travail de la main-d’œuvre ‘indigène’, mais aussi l’engagement des Belges dans l’éducation et les soins de santé et d’autres investissements publics au Congo, ont fait de la colonie le deuxième pays le plus prospère d’Afrique subsaharienne. Cependant, la richesse était inégalement répartie. Les étrangers, 1 % de la population, représentent 99 % de l’ensemble du capital. L’infrastructure est davantage axée sur les besoins de la métropole que sur ceux de la population indigène. Mais surtout, la population indigène ressent l’apartheid et l’impuissance comme particulièrement humiliant.
Pour comprendre quel impact ces nuances et commentaires sur le passé et la période postcoloniale ont sur la discussion actuelle lire le ‘policy brief ‘
[i] Que Isidore Ndaywel è Nziem, n’est pas retenu dans la commission, est remarquable. Non seulement est-il l’auteur d’un des plus importants livres historiques sur le Congo ‘ Histoire générale du Congo’ 1997, 955p., mais en plus réside et travaille au Congo et prend l’initiative d’une plateforme influent pour plus de démocratie en RDC
[ii] Isidore Ndaywel è Nziem, ibid, p336
[iii] F.Buelens en S.Marysse, ‘Returns on investments during the colonial era: the case of the Belgian Congo’, in: The Economic History Review, volume 62, pp.135-166, (2009)
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